25/07/2025
Dans un dispositif épuré, ce sont les silences, les regards, les non-dits qui prennent toute la place. La mise en scène mise sur la sobriété pour mieux laisser affleurer les tensions. Le spectateur est happé par ce duel d' abord feutré, à fleurets mouchetés ,où la violence affleure sous les apparences policées, où les mots blessent davantage par leur suggestion que par leur force.
Les deux comédiens, d'une complémentarité parfaite, déroulent avec une maîtrise redoutable ce fil fragile qui sépare l’amitié de la rupture. Chacun, à sa manière, fouille les méandres du souvenir, exhume des rancœurs longtemps ensevelies, découpe au scalpel les failles de l’autre. Ce n’est plus une conversation, c’est une autopsie affective. Une guerre larvée qui bascule peu à peu dans l'affrontement, à peine contenue par la bienséance du langage.
C’est un grand moment de théâtre que cette joute cruelle et élégante, où les mots sont des armes et les silences des gouffres. Rarement une pièce aura aussi bien capté la douleur intime de ces " je ne sais quoi" , de ces "presque rien", ces infimes fêlures qui, insidieusement, brisent les plus anciennes complicités.
À ne pas manquer : une œuvre fine et percutante, servie par deux comédiens au sommet de leur art.
Pascal les 2 M & Co
24/07/2025
Sur scène, la comédienne incarne sa propre quête : celle d’une fille en colère, révoltée, mais surtout habitée par l’amour. Elle nous offre un portrait nuancé, plein de tendresse, d’un homme digne et silencieux, longtemps méprisé par une société qui ne l’a jamais vraiment regardé.
Ouvrier invisible, humilié dans sa chair et dans son être, cet homme — son père — retrouve ici, grâce au théâtre, une place centrale, lumineuse. Loin du cliché de « l’Arabe taiseux », il apparaît comme un mari aimant, un père attentif, un homme de valeurs, joyeux malgré tout, résigné peut-être, mais jamais effacé.
La force du spectacle réside dans cette tension entre la douceur du souvenir et la rage de l’injustice. La figure d’Électre, convoquée comme double mythologique de l’autrice-interprète, apporte une dimension tragique et puissante : comme la fille d’Agamemnon, elle veut venger son père, le faire exister à nouveau, lui rendre justice dans une société qui broie les corps et efface les mémoires, en particulier celles des immigrés issus de la colonisation.
Le décor, minimaliste mais hautement symbolique, se compose d’une statue magnifique : une tunique blanche aux lignes pures, ornementée d’un collier de fils multicolores. Ces fils, métaphores évidentes des liens familiaux et mémoriels, tantôt enserrent, tantôt libèrent. Ils incarnent ces traces invisibles qui nous façonnent : les non-dits, les silences, les transmissions conscientes ou inconscientes.
Le récit charrie l’évocation d’une famille aimante mais fracturée : une mère douce et résignée, des filles rebelles, en quête d’émancipation. Elles s’éloignent de la tradition et de la religion sans pour autant les renier, dans un respect subtil de celles et ceux qui y restent fidèles. L’équilibre est fin, jamais moralisateur, toujours juste.
La pièce nous mène sans transition du rire aux larmes, grâce à une écriture ciselée, pleine d’ironie tendre et de pudeur. L’humour surgit là où on ne l’attend pas, la poésie aussi. Et chaque spectateur, quelles que soient ses origines, y trouvera une part de sa propre histoire, tant l’intime rejoint ici l’universel.
Avec "Mon père, cet Arabe", le théâtre devient un lieu de réparation, un espace où les absents retrouvent voix et corps, et où les vivants peuvent, enfin, dire leur vérité. C’est un spectacle rare, bouleversant, nécessaire.
Michelle invitée - Les 2M & Co
24/07/2025
Mais ce qui rend cette pièce véritablement unique, c’est la manière dont elle se joue.
Ici, pas de quatrième mur. Laurence Gray s’adresse à nous, nous regarde, nous parle, nous implique.
Les spectateurs sont invités à lire des extraits de la fameuse liste, à incarner quelques personnages clés de l’histoire — un père, un prof, un vétérinaire.
C’est drôle, c’est tendre, c’est vivant. Et c’est incroyablement touchant de voir une salle entière passer du rire à l’émotion, puis revenir au rire, dans un grand élan collectif.
Seule en scène, Laurence Gray incarne avec une justesse rare ce texte à fleur de peau, écrit par Duncan Macmillan.
Elle alterne légèreté et gravité avec un naturel désarmant, et fait de chaque représentation un moment unique, nourri des réactions du public.
Il y a chez elle une forme de grâce : celle de ne jamais forcer l’émotion, de laisser la place à la simplicité. Elle capte l’attention sans jamais la réclamer, et on la suit, touché·e·s, reconnaissant·e·s de cette confiance partagée.
Ce spectacle parle de sujets graves — la dépression, la tentative de suicide — mais avec une infinie douceur. Il célèbre les petites joies qui font tenir, qui rapiècent les jours gris.
On en ressort le cœur un peu plus léger, et l’envie folle d’écrire notre propre liste de choses géniales.
Juste pour se rappeler que même dans les moments les plus sombres, il y a toujours une glace à la vanille, un chien affectueux ou un morceau de musique qu’on aime.
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24/07/2025
C’est un théâtre rare, de ceux qui prennent le temps. Le temps d’écouter, de ressentir, de s’émouvoir. Enfants Fantômes donne voix à ceux qu’on ne voit pas, ou qu’on ne veut plus voir : les enfants oubliés, déplacés, blessés, invisibles.
À travers cinq tableaux, la pièce tisse les récits d’êtres fragiles mais lumineux. Il ne s’agit pas de faire pleurer dans les chaumières : ici, la douleur n’est jamais gratuite, elle est transformée. Sublimée.
C’est aussi un théâtre qui fait confiance aux jeunes comédiens, et cela se sent. Ils jouent juste. Sans fard. Leur présence sur scène est bouleversante de sincérité. Ils ne surjouent pas : ils témoignent.
Agnès Delcourt signe un texte délicat. On sent, derrière chaque mot, un profond respect pour les histoires qu’elle raconte. Le personnage de Florence, journaliste en quête de sens, agit comme un miroir pour le public. Elle observe, écoute, questionne – sans jamais juger. Et dans cet espace d’attention, les voix s’élèvent, les silences aussi.
Le texte est épuré, percutant, et d’une grande justesse émotionnelle.
Pas besoin de grands artifices ici. La mise en scène mise tout sur la présence et la voix. Quelques éléments visuels, une musique discrète signée Léonard Delcourt, et surtout beaucoup de respect pour l’espace du spectateur. On respire avec les personnages. On écoute, on s’interroge. On sort de là un peu changé.
Ce qui m'a plu c'est l’équilibre entre le grave et le tendre, entre le témoignage et l’imaginaire, entre les enfants et les adultes. On ne se sent pas accablé en sortant. On se sent réveillé. Enfants Fantômes ne donne pas de leçon, il donne envie d’ouvrir les yeux. D’écouter ceux qu’on n’entend jamais. Et surtout, de croire encore à la force des récits partagés.
En sortant de L’Incongru, le silence de la salle résonnait encore en moi. Les enfants fantômes n’étaient plus invisibles. Ils étaient là, debout, vivants, lumineux. Et je les remercie.
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24/07/2025
Dès les premières minutes, le ton est donné. Exit le décor d’époque et les perruques poudrées : le metteur en scène et comédien Tigran Mekhitarian choisit de plonger Argan dans un univers contemporain, tendu, presque urbain. L’hypocondrie devient ici le reflet d’un mal-être existentiel, ancré dans notre époque : peur de vieillir, besoin de contrôle, tyrannie affective.
Mais que les amoureux de Molière se rassurent : le texte original est là, respecté, ciselé… et transcendé. Les alexandrins claquent, les répliques font mouche. Et pourtant, le spectacle respire la modernité à chaque instant. L’intelligence de cette adaptation, c’est de jouer avec les codes sans jamais les trahir.
Ce qui frappe, c’est la force du rythme : musique live sur scène (guitare, percussions), chansons originales qui oscillent entre slam, rap et ballade poétique, mouvements chorégraphiés… On ne regarde pas seulement une pièce, on vit une expérience.
Les comédiens sont tous d’une justesse rare : six artistes sur scène, un souffle collectif, une complicité palpable. Mention spéciale à la comédienne qui incarne Toinette, malicieuse, brillante, et à Marine, qui donne à Angélique une fraîcheur et une détermination très actuelles.
On rit, on s’attendrit, parfois même on est saisi par l’émotion.
Au-delà du plaisir de spectateur, cette version du Malade Imaginaire nous tend un miroir : l’obsession de la santé, le patriarcat en crise, les injonctions familiales, la quête d’autonomie des jeunes femmes… Autant de thèmes qui, dans cette mise en scène, trouvent une résonance très contemporaine.
Loin d’être une leçon ou un simple exercice de style, la pièce questionne notre époque, avec finesse et humour. Elle nous rappelle aussi que le théâtre, quand il est bien fait, n’a pas besoin d’être poussiéreux pour être fidèle.
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24/07/2025
Tout commence au lendemain d’un drame. Maria, sublime et muette, traverse son village armée d’un Smith & Wesson pour retrouver l’homme qui l’a agressée.
Une traversée, une quête, une traque. Et tout le village — littéralement — la suit, emporté malgré lui dans cette odyssée vengeresse. Le public est happé dès les premières secondes par la voix unique du narrateur, haletante, ininterrompue, incantatoire.
Un souffle qui ne faiblit jamais, un chant d’un seul tenant, à la manière d’un griot ou d’un chœur antique moderne.
Maria ne parle pas. Et pourtant, on la connaît intimement. Son enfance, ses secrets, ses blessures, sa sensualité, ses absences, sa rage contenue, son mystère, sa solitude sublime… tout cela est restitué par la parole du narrateur, qui incarne à lui seul tout un village : les ouvriers, les footballeurs, le club des chasseurs, celui des motards, les commerçants, la vieille institutrice, l’amoureux secret, la" meilleure amie", les commères, les invisibles solidaires, les parents de Maria, la mère de l agresseur ....et j'en oublie. C’est un seul en scène multiple, une partition chorale offerte par une seule bouche — prodigieux tour de force d’interprétation et d’écriture.
Et la scène se peuple peu à peu. Des costumes suspendus apparaissent, flottants, fantomatiques mais incarnés, formant un chœur silencieux mais éloquent, qui entoure Maria, commente ses choix, l'encourage, la juge, la critique ou la soutient. On est entre tragédie grecque, le western biblique, et la fable cathartique, le tout accompagné par une musicienne protéiforme qui peut, selon le moment, jouer de l' accordéon ou du violoncelle ou du piano. C’est brûlant, drôle parfois, surtout déchirant.
Et puis, il y a cette image finale, gravée dans la rétine : Maria, reine d’une procession inattendue, figure christique d’un nouveau genre, qui entraîne dans son sillage tout un peuple en marche — non vers la croix, mais vers une justice à elle, implacable, organique, furieuse...face à Angelo, le couillon.
On sort de ce spectacle lessivé, bouleversé, admiratif. La mise en scène, précise, poétique, radicale, épouse à merveille le texte et son urgence. L’interprète est saisissant, entre puissance brute et tendresse infinie. Et le texte, incandescent, dit quelque chose de rare sur la communauté, la colère, la sororité, et la possibilité du soulèvement.
La sœur de Jésus Christ n’est pas un simple spectacle. C’est une chevauchée sauvage, un cri, une prière, une révolte. C’est un miracle de théâtre.
Michelle invitée des 2 M & Co pdf 🖨️
23/07/2025
La mise en scène nous emporte dans le tumulte des révoltes, dans le fracas des luttes, mais aussi dans la chaleur de la solidarité. On y sent battre le cœur d’hommes et de femmes qui, par leur courage, leur engagement et leur fraternité, ont façonné une communauté soudée face aux épreuves.
C’est un spectacle engagé où l’on passe du rire aux larmes, porté par une ferveur sociale et républicaine chaleureuse et réconfortante, ce qui, en ces temps où l’égoïsme et l’individualisme semblent gagner du terrain, agit comme un baume bienfaisant.
On se sent moins seul, entouré, soutenu.
On sort de la salle reboosté, la foi en l’humanité regonflée, prêt à repartir pour de nouvelles luttes.
Un grand merci et un grand bravo aux acteurs pour cette performance joyeuse et généreuse, qui nous rappelle que le théâtre peut aussi être un acte de résistance et de fraternité.
Michelle invitée des 2 M & Co pdf🖨️
22/07/2025
Portée par le jeu fort, juste et d’une grande sensibilité de Valérien Moutawe et Nicolas Moisy, cette mise en scène signée Luca Franceschi nous embarque dans une quête d’identité vertigineuse, entre mémoire, filiation et responsabilité.
Les rôles secondaires évoluent dans un ballet fluide, au sein d’un décor sobre mais évocateur, qui épouse la douleur des personnages.
Les mots sont durs, mais nécessaires. Ils bouleversent autant qu’ils libèrent. Ce théâtre-là ne juge pas, il questionne. Il résiste, au nom de la liberté d’expression et de la justice.
Alors que Boualem Sansal lui-même est aujourd’hui réduit au silence, cette œuvre devient un acte politique, un cri de vie contre tous les totalitarismes.
On en sort remué, un peu groggy.. Un moment de théâtre rare, indispensable qui nous fait nous sentir plus humains.
A ne pas rater
Pascal les 2 M & Co
20/07/2025
Le rythme s’emballe, les destins basculent. Le théâtre se fait alors plus politique, plus poignant.
Ce n’est plus seulement une histoire de femmes, c’est une ode à leur résistance. Une mise en lumière de vies oubliées, rejetées, mais ô combien puissantes.
Une troupe en état de grâce
Difficile de détacher les yeux de la scène. Chaque comédienne (et un comédien également, dans plusieurs rôles finement dosés) semble littéralement habiter son personnage. Les dialogues sont ciselés, jamais démonstratifs, souvent drôles, parfois glaçants. La complicité entre les actrices donne une force rare aux scènes d’ensemble, certaines dignes d’un chœur antique, mêlant danse, chant et texte avec une fluidité remarquable.
La mise en scène, signée Agnès Chamak et Odile Huleux, allie la sensualité du cabaret à la rigueur du théâtre engagé. On passe d’un éclat de rire à une boule dans la gorge sans transition. Le tout est porté par une musique originale et une lumière subtile qui épouse les états d’âme de ce microcosme féminin.
Au-delà de la reconstitution historique, La Nuit du 14 parle d’aujourd’hui. Des femmes qui, hier comme aujourd’hui, n’ont pas toujours le droit d’exister librement.
Le spectacle ne tombe jamais dans le misérabilisme. Il préfère la dignité au pathos, l’émotion brute à la leçon militante.
Et c’est sans doute ce qui le rend si puissant.
On sent une urgence dans cette écriture. Une volonté de dire, de rendre justice, de raconter l’invisible.
La pièce est aussi une déclaration d’amour au théâtre lui-même : cet art fragile mais vital qui permet, en une heure vingt, de changer notre regard sur le monde.
Pascal les 2 M & Co