24/07/2025
Théâtre contemporain
Jouée sur la scène intimiste de l’Artephile, "Mon père, cet Arabe" est bien plus qu’un seul en scène : c’est un voyage sensible et bouleversant au cœur de la mémoire familiale, un hommage vibrant à un père disparu trop tôt, emporté par l’amiante, usé par une vie de labeur et d’injustices.
Théâtre Artéphile
du 5 juillet jusqu'au 26
à 17h05 durée 1h15
Réservation📞
Sur scène, la comédienne incarne sa propre quête : celle d’une fille en colère, révoltée, mais surtout habitée par l’amour. Elle nous offre un portrait nuancé, plein de tendresse, d’un homme digne et silencieux, longtemps méprisé par une société qui ne l’a jamais vraiment regardé.
Ouvrier invisible, humilié dans sa chair et dans son être, cet homme — son père — retrouve ici, grâce au théâtre, une place centrale, lumineuse. Loin du cliché de « l’Arabe taiseux », il apparaît comme un mari aimant, un père attentif, un homme de valeurs, joyeux malgré tout, résigné peut-être, mais jamais effacé.
La force du spectacle réside dans cette tension entre la douceur du souvenir et la rage de l’injustice. La figure d’Électre, convoquée comme double mythologique de l’autrice-interprète, apporte une dimension tragique et puissante : comme la fille d’Agamemnon, elle veut venger son père, le faire exister à nouveau, lui rendre justice dans une société qui broie les corps et efface les mémoires, en particulier celles des immigrés issus de la colonisation.
Le décor, minimaliste mais hautement symbolique, se compose d’une statue magnifique : une tunique blanche aux lignes pures, ornementée d’un collier de fils multicolores. Ces fils, métaphores évidentes des liens familiaux et mémoriels, tantôt enserrent, tantôt libèrent. Ils incarnent ces traces invisibles qui nous façonnent : les non-dits, les silences, les transmissions conscientes ou inconscientes.
Le récit charrie l’évocation d’une famille aimante mais fracturée : une mère douce et résignée, des filles rebelles, en quête d’émancipation. Elles s’éloignent de la tradition et de la religion sans pour autant les renier, dans un respect subtil de celles et ceux qui y restent fidèles. L’équilibre est fin, jamais moralisateur, toujours juste.
La pièce nous mène sans transition du rire aux larmes, grâce à une écriture ciselée, pleine d’ironie tendre et de pudeur. L’humour surgit là où on ne l’attend pas, la poésie aussi. Et chaque spectateur, quelles que soient ses origines, y trouvera une part de sa propre histoire, tant l’intime rejoint ici l’universel.
Avec "Mon père, cet Arabe", le théâtre devient un lieu de réparation, un espace où les absents retrouvent voix et corps, et où les vivants peuvent, enfin, dire leur vérité. C’est un spectacle rare, bouleversant, nécessaire.
Michelle invitée - Les 2M & Co