19/07/2025
Théâtre classique revisité
Une descente aux enfers magistrale au Roi René
Dans la salle du Roi, transformée, pour l’occasion en une antichambre de l’Enfer, la mise en scène de Richard III bouscule, électrise et sidère.
Plus qu’une pièce, c’est une plongée abyssale dans les replis sordides de l’âme humaine que nous propose ce spectacle incandescent. Entre ténèbres apocalyptiques et visions baroques d’un monde en décomposition, Richard se dresse, tel un spectre difforme et génial, assoiffé de pouvoir et de sang.
Théâtre du Roi René
du 5 au 26 juillet
relâche 9, 16, 23 juillet
à 15h25 durée1h30 Crédit photo: Dimitri Klosowski
Le décor, à la fois brut et sublime, évoque un no man’s land post-apocalyptique : carcasses de voitures rouillées, fourches tronquées, dessinent un paysage mental " de rouille et d'os", à la fois organique et métallique, où trône — ou plutôt survit — un "trône de fer" efflanqué, misérable, symbole de la vanité du pouvoir. Le lieu lui-même — la salle du Roi , ancienne chapelle du XV -ème siècle, encore dans son jus— semble avoir été conçu pour accueillir ce cauchemar shakespearien, renforçant l'impression d’être pris au piège dans les méandres psychotiques de Richard.
À un rythme haletant, scandé par une musique électro-rock puissante et obsédante, le texte retrouve une acuité politique saisissante. Manœuvres, trahisons, assassinats méthodiques : tout dans la trajectoire de Richard résonne étrangement avec les dérives du pouvoir contemporain. C’est une marche funèbre, une lente — mais de plus en plus précipitée — descente aux enfers qui s'accélère jusqu’au chaos.
Les costumes, faits de cravates cousues ensemble, sont une trouvaille visuelle remarquable. Objets du quotidien masculin, symboles de l’autorité et de la réussite sociale, ils deviennent ici tissus d’emprisonnement, nœuds coulant sur les ambitions de chacun, linceuls colorés d’une humanité corrompue.
Mais ce qui emporte tout, c’est l’interprétation. Portée par cinq comédiennes éblouissantes, la pièce devient un tour de force théâtral. Chacune navigue avec maestria entre les rôles, les genres, les registres. Leur jeu intense, parfois presque hystérique, mais toujours juste, fait ressortir la force dramatique du texte tout en y injectant l’humour grinçant, la distance ironique et le grotesque si chers à Shakespeare. Mention spéciale à Alexiane Torres : sa voix rauque, profonde, semble venir d’un autre monde. Elle incarne un Richard terrifiant, magnétique, autant qu’il est repoussant.
En sortant, une question nous hante : sommes-nous vraiment si éloignés de ces monstres que nous croyons appartenir au passé ? Le miroir tendu par Shakespeare, dans cette mise en scène audacieuse et viscérale, nous renvoie à nos propres contradictions, à la noirceur tapie sous le vernis du pouvoir.
Un chef-d’œuvre sombre, dérangeant et nécessaire.
Michelle invitée des 2 M & Co